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Luma Azane

French writer, écrit de la SFFF et des fanfictions, poste sur l'écriture et reblogue Pratchett

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Quoi Bon Crire Des Histoires ?

«À quoi bon écrire des histoires ?»

Cette phrase, à chaque fois que je la lis ou l'entends, elle me frappe en plein cœur. D'une manière douloureuse. Parce qu'à chaque fois, j'y entends une remise en question de ce à quoi je me consacre des milliers d'heures de ma vie, et la seule réponse que j'arrive à y apporter c'est «Parce que j'aime ça !»

Alors que ce que je pense et que je n'ose jamais dire, c'est « Ne remets pas en cause ce que je fais, parce que je doute déjà beaucoup trop, et que je n'ai pas de vraie réponse bien ancrée qui puisse vraiment me justifier à tes yeux »

Mais pourquoi je me sens remise en cause, en fait ? Pourquoi j'ai l'impression qu'il faut que je me justifie ?

 Déjà, voyons qui pose cette question et dans quel contexte.

Il y a ceux qui considèrent que le but d'une histoire écrite est d'être un livre et le but d'un livre est d'être un succès. N'écrire que pour soi, pour des blogs, des fanfictions, des textes amateurs, bref écrire tout ce qui s'écarte d'un succès validé leur semble être un gâchis de temps et d'énergie. Ce sont eux qui vont conseiller de mettre dans l'histoire de la romance, de la magie ou du suspens "parce que ça marche !". Sous cet angle, écrire des histoires devient un business ou une perte de temps. Ce sont les personnes qui vont demander combien de temps on a passé sur un livre, combien on a gagné, calculer ce que ça rapporte à l'heure et conseiller de s'améliorer ou abandonner. Ou alors, l'écriture n'est qu'un loisir, et ils ne comprennent pas qu'on peut y passer tant de temps, que ça peut être dur, que l'idée de ne pas arriver au bout soit si triste. Si c'est un loisir et qu'il ne te rend pas heureux·se, pourquoi continuer ? Il peut y avoir une volonté bienveillante derrière la question, quand on voit l'écrivain·e se donner tant de mal et qu'il n'y a pas de résultat, il faut lui faire réaliser que ça n'a pas de sens, pour son propre bien. Le problème, c'est que ce genre de réflexions, justement, font très mal à ceux qui écrivent.

Parce que la réponse à la question de départ est rarement «J'écris pour avoir du succès/de l'argent/de la valorisation sociale». C'est bienvenu quand ça arrive, c'est certain. Ne serait-ce que parce que ça fait taire les critiques dont je viens de parler, ce qui est toujours un soulagement. Et puis quand la société valide ce qu'on fait, ça fait toujours du bien par où ça passe.

Mais ce n'est pas ça le but.

 Il y a aussi ceux qui considèrent que le but d'une histoire, c'est de toucher les lecteurs, de leur apporter quelque chose de fort, que ce soit intellectuellement, émotionnellement, philosophiquement... Transmettre une sagesse, une culture, une expérience, une idée, une vision du monde. Eux ne demandent pas à quoi bon écrire des histoires en général, ils demandent pourquoi toi, entre tous, tu en écris. Qu'est-ce que tu as à apporter aux lecteurs. Quel est ton pitch, ton idée originale, ton angle inattendu.

Cette exigence peut sembler effrayante, surtout qu'on l'aborde en se comparant aux meilleurs. Les fans de lecture ont souvent lu des milliers de livres, mais quand ils parlent de ce qui est important, ils vont revenir sur ce qui a été important pour eux, ce qui est important en littérature, bref quelques éléments parmi un corpus littéraire très vaste. Une pression d'autant plus écrasante quand on n'a pas le même bagage, ou pire, qu'on n'a pas spécialement aimé les "classiques" ou les livres particulièrement importants pour notre interlocuteur, parce que là, on n'a rien, même pas une base commune pour convaincre que si si notre histoire a quelque chose d'intéressant à apporter.

Savoir, consciemment, ce que notre histoire peut apporter, ça donne de l'assurance pour la présenter au reste du monde, c'est sûr. Ça donne une réponse à la question du "à quoi bon" qui est une justification acceptable. J'écris cette histoire pour défendre une cause, pour expliquer un point, pour montrer aux gens que ceci existe, pour faire réfléchir. Et ce sont de très bonnes raisons.

Sauf que, soyons honnêtes, ce n'est pas comme ça que ça a commencé. Ou plutôt, ce n'est pas ça qui nous a décidés, entre tous les moyens d'expression possibles et imaginables, d'écrire une histoire. On ne se lance pas dans la fiction uniquement pour défendre un point de vue ou donner des informations, surtout à l'heure d'internet. Et il arrive aussi qu'on n'ait pas clairement en tête une raison défendable de pourquoi on veut écrire une histoire, et cette histoire entre toutes les histoires, mais ça n'empêche pas de s'y accrocher.

Donc oui, on écrit pour transmettre quelque chose aux lecteurs, mais pas seulement.

 Il y a ceux qui posent cette question parce qu'ils écrivent et se la posent eux-mêmes.

Comme je l'ai dit, écrire n'est pas de tout repos, et souvent on se demande pourquoi on se donne autant de mal. C'est long, c'est dur, ça ne ressemble pas à ce que j'avais en tête, je ne fais que me torturer pour au final faire moins bien que tous les autres*, et même si j'arrive à sortir cette foutue histoire de mon cerveau personne ne va la lire, et même si des gens la lisent ils l'oublieront très vite, alors à quoi bon tout ça ?

* existe aussi en version "mon histoire est géniale, mais je suis la seule personne au monde capable de l'apprécier alors à quoi bon tout ça ?". Nettement plus rare, bizarrement.

La réponse à la question sera alors frénétiquement cherchée dans les moments de satisfaction de l'écriture (les moments de flow, quand tout semble se mettre en place de soi-même), dans les louanges des lecteurs, dans la validation des figures d'autorité (éditeurs, critiques, conjoint, chacun a ses propres sensibilités), dans l'importance de ce qu'on veut transmettre aux lecteurs, dans la valorisation sociale (argent, célébrité), selon ce qu'on arrive à obtenir. Et ça aide. Tous ces éléments sont de précieuses sources de motivation pour continuer à écrire.

Mais ce n'est pas ça, la réponse primordiale à la question, l'élan qui nous a donné envie d'écrire des histoires au tout début.

  Dans une histoire, on met doute et certitudes, défaites et victoires, joies et peines. Il n'existe que les aspects qui nous intéressent, depuis l'apparence des personnages jusqu'à la résolution de la problématique du monde entier. On part d'un point qui nous touche, nous heurte, nous passionne, nous fait vibrer, et on le triture jusqu'à sa résolution.

Ce n'est pas grave que l'histoire ne soit pas originale, il fallait l'écrire pour ajouter sa voix au chœur général des histoires qu'on adore. Ce n'est pas grave que l'histoire ne parle qu'à une minuscule niche de personnes, il fallait l'écrire pour étendre l'univers qui nous parle. Ce n'est pas grave que les personnages aillent à contre-courant de tout ce qu'on attend du genre, il fallait l'écrire pour avoir une version qui nous semble cohérente avec notre vision du monde. Il fallait l'écrire. Il faut l'écrire. Peut-être pas aujourd'hui, dans l'urgence, peut-être qu'on est fatigué ou qu'on n'a pas le temps ou qu'on a besoin de réfléchir encore au plan. Peu importe. Une histoire qui attend d'être écrite, c'est une impulsion qui reste en permanence au fond du crâne, en attendant qu'on se mette au boulot pour être libérée. Ne jamais la raconter, c'est juste frustrant.

Alors, à quoi bon écrire des histoires, dans un monde où tant de gens écrivent, où il peut être difficile de trouver sa place ? Parce que se retenir serait juste gâcher cet élan pour au final rester hantés par nos mondes avortés. Parce que trier les histoires qui méritent ou non d'être écrites revient à figer la culture dans un éternel recommencement des classiques, alors que la culture est un tissu mouvant auquel nous sommes tous légitimes d'y participer. Parce qu'écrire des histoires est un art et que la voix de chaque artiste est précieuse et ne doit jamais être réduite au silence.

  • ducksintherain
    ducksintherain liked this · 5 years ago
  • noctilucea
    noctilucea liked this · 5 years ago

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Ever think about how both Aziraphale’s and Crowley’s prized possesions (the bookshop and Bentley) have been on fire at one point?

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The Root Book

Je viens de découvrir un site marrant :

http://www.therootbook.world/

Il permet d'écrire des histoires à plusieurs, sur le principe du cadavre exquis : chacun rajoute un bout de texte à l'histoire déjà en place, et on peut lire les histoires se développer et se ramifier en différentes versions... C'est encore le début, mais c'est déjà prometteur ! Moi je commence un peu à jouer avec ^^


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5 years ago

it’s so crazy how you can outline a character in extensive detail and when you start writing them they just Happen in a completely different way to all of that and you’re like well fuck, okay, i better adjust the plot accordingly for this person who WAS NOT INVITED and just SHOWED THE FUCK UP and insisted upon themselves 

5 years ago

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5 years ago

“Magrat peered around timidly.  Here and there on the moor were huge standing stones, their origins lost in time, which were said to lead mobile and private lives of their own.  She shivered. ‘What’s to be afraid of?’ she managed. ‘Us,’ said Granny Weatherwax, smugly.

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