Rien

Rien

Que cachent les ténèbres ? Rien, voyons. Absolument rien. Peut-être un peu de rien qui serait plus massif qu’une ombre. Plus attentif aussi. Mais ce n’est qu’un rien parmi d’autres, pourquoi s’en soucier ? À peine imaginé, déjà oublié, c’est ce qu’il y a de mieux à faire.

(Sauf pour les enfants, les chats et les grands anxieux, qui ne dormiront pas tranquilles tant que ce rien sera là)

Et s’il venait, ce rien. S’il se levait. S’il prenait ta main. Si tu l’amenais, tout doucement, jusqu’à la lumière. Qu’en verrais-tu ? Absolument rien. Transparent, invisible, il n’a pas de reflet dans le miroir ni de chaleur contre ta paume. Il ne se serait que le fruit de ton imagination. Plus on y voit, moins on le distingue. C’est pour ça que les ténèbres le dévoilent. Un peu. Juste assez pour faire dresser quelques cheveux sur ta nuque. Un vieil instinct qui préfère s’inquiéter pour rien plutôt que de laisser passer une menace.

Ce n’est pas dangereux, de toute manière. C’est très, très seul. C’est pour ça que ça aime venir nous voir. Guetter un peu de vie, de mouvement, d’éclat. À défaut d’y participer, c’est déjà une distraction, un apaisement. Ce qui n’est rien n’a rien. Ce qui n’est rien n’a personne. C’est dur, tu comprends.

Alors, si tu veux danser, dans le noir ou la lumière, guidé·e par une musique tonitruante ou par une chanson que tu fredonnerais, n’hésite pas à offrir ta main. Ce serait une invitation. Rien ne l’agripperait, rien ne danserait avec toi, partageant quelques pas, ta vie, ton éclat. Un autre transparent, sans chaleur, sans poids, un autre invisible à la lumière, ce ne serait pas un autre danseur du tout. Ce ne serait rien.

Mais laisse-lui une place tout de même. Ça ne coûte rien.

Him!

Rivières

Je me coucherai, nu, dans le lit de la rivière. L’eau bondissante me reconnaîtra et m’acceptera en son sein frais. Charrié par le courant tel un galet docile, j’irai de méandre de méandre, accueillant l’érosion avec reconnaissance. Mon sang, delta bleu à mes poignets, se diluera dans l’eau-sœur et elle m’emmènera, dissout et oublieux, là où se mêlent toutes les rivières.  

La piscine

Tout le monde crie, joue et s’éclabousse dans la piscine. Moi j’hésite. Elle a l’air froide, et je ne sais pas nager. On m’a mis des brassards qui tirent la peau et une bouée autour du ventre, mais après mille et mille fois à me répéter que c’est dangereux, la piscine, qu’il ne faut pas s’approcher de l’eau, je ne suis pas très sûre de moi. Mais j’ai envie, ça c’est sûr. Les grands y sont tout le temps, dans la piscine. Ils rient et hurlent comme si c’était le meilleur endroit de la terre. Et le pire en même temps.

Maman est là, elle m’attend dans l’eau, les deux bras levés, et dis « Viens, n’ai pas peur ! »

Alors je saute.

L’eau est froide, pas du tout comme l’eau du bain, alors je crie aussi, l’eau glisse sur mes jambes, j’éclabousse avec les bras, Maman me tient, je vole dans ses bras, et je ris aussi, fort, je lance les gouttes partout, je suis portée par l’eau, je pousse, je gigote, je fais n’importe quoi, ce ne sont plus les bras de Maman qui me tiennent, c’est l’eau, et la bouée autour de mon ventre, je bascule en avant, elle me rattrape, elle ris aussi, fort.

Depuis ce jour il a toujours été si bon de nager.

The cuttlefish has a remarkable talent. Its skin contains millions of pigment cells and it uses hypnotic color patterns to mesmerize its prey before it strikes. (Blue Planet II)