French Writer - Tumblr Posts
Dans la nuit
Je me suis remis aux fanfictions ! Enfin, une fanfic, super courte, sur un mini fandom. Mais ça me fait plaisir. En plus c’est le premier roman que j’ai réussi à lire en anglais (je ne dit pas que j’ai tout maitrisé, mais j’ai réussi à suivre l’essentiel), disponible gratuitement ici : Bang bang boom [New York], préquel de la très chouette BD Bang bang boom. Première fois aussi j’écris sur un couple qui est canoniquement en couple, et c’est très chouette.
Si ça vous tente, je mets le texte en intégral en dessous. NSFW, même si c’est des mentions de sexe plutôt que l’acte lui-même.
L’action se passe très peu de temps après que la relation entre Cheshire et Jakub ait commencé, avant que la routine et surtout la fuite n’aient pu effacer la plupart de leurs doutes et remplacer une communication correcte entre eux (ce qu’on attend encore d’ailleurs). Point de vue Cheshire.
Cheshire sort de la salle de bain en se séchant rapidement, ayant hâte de retrouver Jakub. Oui, ils ont passé la journée ensemble, et sont allés ensemble incendier un rival trop audacieux dans la soirée, et ont enchainé aux petites heures de la nuit avec une séance de sexe passionnée, et alors ? Il est à peine… bon, il est déjà cinq heures du matin d’après le réveil sur la table de nuit, mais ils sont jeunes et pas du genre à se coucher avec les poules. Ils peuvent encore prendre un verre, ou faire une partie de poker, ou même faire un deuxième round, avant que le soleil ne se lève…
Ches est en train d’énoncer ces programmes alléchants à voix haute lorsqu’il réalise que Jakub s’est endormi, exactement dans la position où il l’a laissé, écroulé sur le lit. Il sourit tendrement. Autant pour la fin de soirée. En même temps, c’est vrai que la journée a été particulièrement longue. Sans oublier que, comme souvent, c’est Jakub qui a pris l’ascendant au lit et a fait le plus fatigant. Il ne viendrait pas à l’esprit du blond de s’en plaindre, mais il espérait plus ou moins… autre chose. Même s’il n’a aucune raison d’en vouloir plus, se raisonne-t-il.
Il a beaucoup de chance, en réalité. Il a pu réaliser son rêve de devenir un gangster, il est puissant, célèbre, doté de magie, et il a un partenaire incroyable. Jakub est presque une caricature des hors-la-loi qui l’ont toujours fait rêvé, il est incroyablement solide, fiable, d’un sang-froid à toute épreuve, il peut affronter n’importe quoi sans hésiter et abattre n’importe qui sans battre un cil. Ils font une équipe du tonnerre, les deux atouts maîtres du clan Kozlow, quoi qu’en pense cet imbécile de Barney, ils sont chacun prêt à protéger l’autre de leur propre vie sans hésiter, et sont capables d’abattre tous les obstacles qui peuvent tenter de se dresser sur leur route. Tant qu’il aura Jakub à ses côtés, Cheshire est certain qu’il est invincible.
Et en plus de ça, depuis quelque temps – depuis que Jakub a son bras mécanique, bien que ça n’ait aucun sens – ils couchent ensemble. Ce n’est encore arrivé que quelques fois, toujours des moments où l’adrénaline leur brûle les veines et où ils se jettent l’un sur l’autre comme s’ils voulaient se dévorer, avant de faire comme si de rien n’était le lendemain. Partager le lit de Jakub est toujours grandiose, quel que soit le rôle que le brun choisisse, et Ches devrait se contenter d’apprécier ce qu’il a. En plus, il n’y a aucune chance pour que Jake se montre un jour trop insistant sur leur relation ou lui demande de s’engager dans quelque chose de sérieux. Pour l’instant, ils ne se sont engagés dans rien du tout. Ches a préféré ne pas poser de question. Tout ce qu’il sait, c’est que visiblement Jakub et Miklos ont rompu – en est-il la cause ? C’est une question dangereuse – et que le brun lui a interdit de parler de cet aspect de leur relation à quiconque. Son comportement est aussi insaisissable que les expressions sur son visage. Et tant qu’il ne sait pas, Cheshire a bien trop peur de faire ou dire ce qu’il ne faudrait pas et de mettre fin à… ce qu’ils ont aujourd’hui, quoi que ce soit. Donc il ne demande rien. Donc il ne sait pas.
En attendant, c’est la première fois qu’il peut profiter de Jake ainsi, aussi vulnérable et abandonné. Les fois précédentes, Ches s’est endormi assez rapidement après qu’ils aient fait l’amour, et avant, l’ambiance n’est pas propice à admirer correctement le corps de Jakub. Avant, toute son attention est concentrée, captivée par le regard de son amant, ses yeux sombres si perçants, son visage de marbre, aussi férocement attentif que lorsqu’il travaille, comme si Cheshire était un explosif particulièrement dangereux qui ne pouvait être maitrisé qu’avec une concentration de tous les instants. Et Cheshire Bloom, qui n’aime rien tant que d’être regardé, a parfois l’impression qu’il pourrait mourir de ce regard-là, aussi aiguisé qu’un poignard. C’est incroyablement excitant, plus enivrant que les meilleurs whiskys sur lesquels ils ont pu mettre la main, plus grisant même que de se jeter au milieu des balles en laissant libre cours à ses explosions. D’un seul regard, Jakub peut lui provoquer un rush d’adrénaline qui approche violemment les moments les plus chauds de sa vie de dangereux gangster, et Cheshire ne s’en lasse pas.
Mais c’est agréable aussi de le découvrir autrement. Lentement, le blond laisse courir une main nue sur le dos de son amant et descend délicatement jusqu’à ses fesses, jouant du bout des doigts à tracer un chemin secret entre ses innombrables taches de rousseur brunes. C’est amusant de voir à quel point il s’est mis à apprécier les taches de rousseur de Jakub. Il avait toujours préféré les taches de rousseur plus claires, comme celles de Grace, sa première petite amie, qui donnait l’impression qu’on l’avait constellée de peinture dorée. Jake donnait plutôt l’impression d’être constellé d’encre. Si on voulait vraiment faire de la poésie, on pourrait comparer sa peau de lait et ses taches sombres à une nuit constellée d’étoiles – si on en inversait les couleurs – et on pourrait tracer des constellations sur sa peau étonnamment douce. Cheshire n’est pas vraiment un homme à faire de la poésie, mais il aime les chansons romantiques, et il serait tenté d’en improviser une à la gloire de ce dos musclé moucheté. Même s’il doit admettre, quelque part au fond de lui-même, que s’il aime les taches de rousseur de Jakub, c’est avant tout parce que ce sont les taches de rousseur de Jakub. Elles sont aussi indissociables de lui que ses yeux noirs et son manque d’expression. Penser à elles, c’est penser à lui, et forcément, à chaque fois, il ressent ce petit tressaillement, ce mélange de fierté d’avoir été choisi, de peur de mal comprendre et de tout gâcher, et d’autre chose. Une autre chose qu’il a toujours prise pour de l’admiration, une envie d’être spécial aux yeux de celui qu’il considérait comme un modèle, une envie d’être vu, comprit et applaudit. Une envie qui n’a peut-être rien à voir avec ce qu’il croyait.
Sa main caresse les fesses de son amant, un effleurement qui se transforme rapidement en caresse à pleine paume. Jakub est la seule personne au monde devant qui Cheshire enlève ses gants, et il en profite pour apprécier pleinement la sensation. Ses fesses sont vraiment la seule partie de son anatomie qui est moelleuse – même si on sent le muscle en dessous quand on les malaxe vraiment. Jake est tout en muscle, pas le genre costaud comme Cheshire, plutôt des muscles fins et gainés, nerveux, prêts à l’action en une fraction de seconde. Des réflexes de serpent, un visage taillé à la serpe, des yeux qui lancent des couteaux, tout chez le brun semble être taillé en acier. Sauf ses fesses, contre lesquelles Cheshire se serre tendrement, avant de planter un baiser léger sur la nuque tachetée de son amant.
Qui aurait cru que Jakub était littéralement assis sur une telle merveille. Le fait que personne ne s’en soit aperçu est un crime de son tailleur. Il faut absolument que Ches lui fasse faire un costume correct, un qui tombe bien et mette sa somptueuse chute de reins en valeur. Jake détesterait – la seule chose qu’il déteste plus que de parler, c’est qu’on le regarde, on peut dire qu’ils sont vraiment complémentaires de ce côté là, pour ne pas dire dramatiquement opposés. Mais avec assez de charme, il pourrait céder. Ches ne sait jamais si c’est parce qu’il s’attendrit devant ses bêtises ou qu’il en a assez de perdre de son temps à écouter le babillage du blond, mais il cède. L’homme d’acier est finalement bien plus tendre qu’il n’y parait. Et Ches est le seul à le savoir. Enfin, Miklos le sait sans doute aussi, mais peut importe. À cet instant, c’est Ches qui est là dans le lit de Jakub, et il n’y a que lui qui peut voir son côté tendre. C’est tout ce qui compte.
Il se glisse aux côtés de son amant et commence à rabattre les couvertures eux, avant d’éteindre la lampe de chevet. Le temps de faire ce geste a suffi à Jakub pour se rabattre sur le côté – en lui tournant le dos. Ches ne sait pas vraiment comment interpréter ce geste, il ne sait même pas si Jake s’est réveillé ou s’il est toujours inconscient, et il est toujours en train de débattre pour savoir s’il doit se rapprocher ou non quand Jakub se recule et vient coller son dos contre lui.
Avec un sourire soulagé dont il n’a absolument pas conscience, Ches ajuste sa position à celle du brun, plaquant leurs deux corps l’un contre l’autre. Jake laisse échapper un soupir, mais ne semble pas s’être réveillé, juste apaisé. Et c’est parfait. Le blond a le nez sur la nuque de son amant et cette odeur l’apaise à son tour, le préparant au sommeil. Comme pour les taches de rousseur, cette odeur n’aurait pas mérité qu’on lui rédige des poèmes. Jake sent la cigarette avant tout – tout ce qu’il fume a imprégné ses cheveux, ses vêtements et son appartement depuis longtemps. Il sent aussi la poudre quand il a manipulé les armes, et le savon bon marché, sans doute le même qu’il utilise depuis son adolescence. On retrouve aussi, quand on la cherche, une trace discrète de l’odeur de la magie de Cheshire, celle qu’ont les cigarettes qu’il allume avec ses flammes et que Jakub préfère à toutes les autres. Et aussi l’odeur de Jakub lui-même, celle qui le distingue de tous les autres. Rien de tout ça ni du mélange qui en résulte n’est particulièrement attirant, ce n’est pas le genre de fragrance qui fait se retourner sur le sillage d’une jolie fille en se demande d’où vient ce parfum fleuri. Mais Cheshire s’est mis à l’aimer, car c’est l’odeur de Jakub, et lorsqu’ils sont ainsi, lovés l’un dans les bras de l’autre, il se sent incroyablement bien. À sa place exacte dans l’univers.
Il laisse tomber son bras par-dessus Jake et le caresse doucement. Il n’a pas envie de le réveiller et il est à peu près certain que le brun n’aura aucune envie d’un second round à cette heure-ci, mais Ches a envie de le toucher encore, plus tendrement qu’un simple ami qui partagerait son lit. Il a envie de profiter de cette intimité que Jakub lui offre, lui qui est en permanence sur ses gardes. C’est beau, et doux, et aussi un peu excitant, comme s’il était en train de profiter d’un bel endroit où il n’avait absolument aucun droit d’aller. Il sent une érection commencer à lui venir, rien de bien grandiose pour le moment, mais ça peut venir. Jake est là, tout à lui, et cette idée seule suffit à éveiller tous ses appétits.
Il sent la main mécanique de Jakub bouger légèrement, puis se poser sur la sienne et la guider jusqu’à sa poitrine, où elle est solidement plaquée. Pourtant, le souffle du brun est toujours lent et apaisé, il ne semble pas s’être éveillé. Mais il voulait lui prendre la main. Cheshire se retient de pouffer, le visage toujours enfouit dans les cheveux de Jakub. À présent, il est hors de question qu’il bouge, même un pied-de-biche ne lui permettrait pas de se libérer de la poigne d’acier. S’il a besoin d’aller aux toilettes pendant la nuit, il lui faudra réveiller le brun, ou scier son propre bras. Mais ça ne le dérange pas. Il a l’impression que Jakub s’agrippe à lui comme à quelque chose de précieux. Dans un souffle, Cheshire murmure : « Je suis là ». Il n’ose pas ajouter un « ne t’en fais pas », parce que ce serait ridicule d’imaginer Jakub Danowicz s’inquiéter qu’il soit là ou non. Quoi qu’en disent des doigts d’acier fermement pressés sur les siens.
Après avoir dit ces mots, Cheshire entend Jake soupirer, un long échappement d’air qui est presque un gémissement, et sent son corps s’arrondir et s’adapter à sa position, comme celui d’un chat. Ah, cette fois ça y est, Jakub est complètement détendu. C’est quelque chose de rare, lui qui est toujours sur le qui-vive, toujours prêt à tout. À part peut-être quand Ches lui passe un bras sur les épaules, dans les moments de célébration ou tout simplement lorsqu’il raconte une histoire et qu’il tente de faire partager physiquement son enthousiasme. Dans ces moments-là, Jakub n’a pas l’air d’être particulièrement impressionné par les exploits du blond, ni même intéressé, mais se laisse mettre le bras sur les épaules, et petit à petit, durant la soirée, Cheshire sent les muscles de ses épaules se détendre. Et peut-être qu’il cherche des signes partout et se contente de peu, parce qu’il est inquiet, mais peut-être que c’est vraiment le signe qu’il y a quelque chose de spécial entre eux, que Jakub a confiance en lui, qu’il peut se détendre en sa présence. Qu’il est aussi précieux pour Jake que Jake est précieux pour lui. Qu’ils sont chacun le quelqu’un de spécial de l’autre, des partenaires un peu particuliers, et qu’ils partagent quelque chose qu’ils ne montrent pas au reste du monde.
A son tour Cheshire se laisse glisser dans le sommeil, un sourire bienheureux aux lèvres.
Dans la nuit
Je me suis remis aux fanfictions ! Enfin, une fanfic, super courte, sur un mini fandom. Mais ça me fait plaisir. En plus c’est le premier roman que j’ai réussi à lire en anglais (je ne dit pas que j’ai tout maitrisé, mais j’ai réussi à suivre l’essentiel), disponible gratuitement ici : Bang bang boom [New York], préquel de la très chouette BD Bang bang boom. Première fois aussi j’écris sur un couple qui est canoniquement en couple, et c’est très chouette.
Si ça vous tente, je mets le texte en intégral en dessous. NSFW, même si c’est des mentions de sexe plutôt que l’acte lui-même.
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Miracles à plume
Défit d’écriture 30 jours pour écrire, 1er août
Thème : vivantes/après la fin du monde
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Elle avance parmi les gravats, sans but. Un silence de mort plane sur l’endroit. Cette idée la fait pouffer toute seule. Un silence de mort. Ça, c’est une expression sacrément bien choisie, pas de doute.
Un silence des morts, même, pourrait-on dire.
Mais hé, tout le monde n’est pas mort, n’est-ce pas ? Elle elle est vivante. Le seul être vivant à des kilomètres à la ronde. Toute fraiche sortie de sa cave, pour découvrir qu’à la surface, il n’y avait plus rien. Enfin, il reste des traces de vie. D’une vie passée. Trépassée. Il reste des ruines. Des décombres. Des cadavres. Si on peut considérer ces restes calcinés comme des corps humains. Enfin, d’une certaine manière, c’est sans doute mieux comme ça.
Où va-t-elle aller maintenant ? Elle n’en sait rien. C’est ça le problème avec la fin du monde : ça concerne tout le monde. Et il ne reste rien…
Elle marche, parce que rester sur place serait intolérable.
Elle marche, parce qu’elle ne parvient pas à crier l’atrocité qui lui brûle les poumons, et que si elle était immobile elle finirait broyée par cette souffrance, par cette agonie. Et elle n’est pas restée en vie pour agoniser, n’est-ce pas ?
Marcher, c’est ce que font les vivants. Un pas après l’autre, et on recommence. Une petite silhouette qui se balance, si menue, tout au fond du paysage. Un pas après l’autre et on recommence.
Jusqu’à ce qu’elle entende un écho, un bruit qui n’est pas celui de ses propres pas, de son propre souffle. Un bruit qui ressemble à un… gloussement ?
Elle s’immobilise, toute ouïe, tendue comme un arc. Ça ne peut pas être son esprit qui lui joue des tours, non ? C’est forcément réel ? Quelque chose qui a gloussé ? Quelque chose qui glousse encore ? Qui lâche un soupir plaintif ? Qui est bien réel ? Qui est bien vivant ?
A pas de loup, elle se glisse plus près du bruit. Derrière les décombres, au-delà du spectre des rues, dans les jardins qui deviennent des terrains vagues, entre les bosquets remplis de ronce, elle trouve des poules. Une dizaine de poules, très vivantes, très bruyantes, très contentes visiblement que tout ce bazar soit terminé, et d’avoir trouvé une ouverture pour fuir leur improbable poulailler… Elles gloussent et caquètent, ou tous les autres bruits qui peuvent accompagner des gallinacées en pleine exploration, qui ont l’air très bavardes entre elles. La survivante n’a jamais vu de poule de si près, à la réflexion. Elle est absolument incapable de dire si les volailles ont l’air en bonne forme ou bouleversées par tout ce qui s’est passé. Et ça n’a aucune importance. Vivantes ! Elles sont vivantes, toutes, et toutes magnifiques et hilarantes, et douces, et belles, et absolument grandioses ! Dix petits miracles à plume qui viennent gentiment lui picorer les lacets, au cas où elle ait de quoi manger.
Elle va chercher. Pour ses nouvelles amies, ça c’est sûr, elle va chercher ! Quel but encourageant : nourrir les poules, abreuver les poules, abriter les poules, protéger les poules. Il y a tellement à faire ! Elles sont vivantes, elles doivent le rester.
Après tout, il faut prendre soin des miracles.
Mon renard
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 2 août
Thème : Apprivoiser/ce que cache un masque
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Peut-on apprivoiser un renard ?
Imaginons que j’en ai envie. Juste pour l’idée. Mettons que, par exemple, j’ai rencontré ce renard, et que j’ai envie de l’apprivoiser. Comment est-ce que je devrais m’y prendre ?
Non, non, ce n’est pas un renard à quatre pattes qui vient creuser sous les poulaillers pour se faire un banquet de volaille. Je ne vous parle pas de ce genre de renard. Non, la question était plutôt à propos des renards à deux pattes. Vous savez. Ceux qui ont l’air humain, très aimables, rusés mais sympathiques, ceux qui ont toujours un petit mot amusant à vous murmurer à l’oreille pour médire discrètement du reste de la société… Ceux qui connaissent très bien les conventions et s’en amusent, ceux qui savent faire danser les autres à leur rythme, pas après pas, jusqu’à ce qu’ils les aient amené exactement là où ils le souhaitaient. Et ensuite les dévorent, j’imagine. Après tout, un renard est un renard.
Ils portent tous des masques, ces renards-là, de beaux masques dont on ne voit pas les ficelles – la seule chose qui les trahit, au final, est de voir leur queue touffue cachée sous leurs vêtements d’humain. Vous savez de quoi je veux parler. Vous connaissez les signes, vous aussi. Comment je le sais ? Oh, disons que ça se sait. J’ai demandé à gauche, à droite, et me voilà. De toutes manières, quelle importance ? Je n’ai pas l’intention de vous faire du tort.
Non, c’est d’un tout autre renard que je viens vous parler – je ne suppose absolument pas que vous êtes un renard vous-même, bien entendu, jamais je n’oserais dire une chose pareille, vous pensez bien. Non, je vous parle d’un autre renard. Un très, très beau renard. Séduisant, amusant, captivant. Je sais très bien comment attirer son attention, il suffirait d’être une jolie proie. Mais je veux plus. Je veux l’apprivoiser. Je veux qu’il devienne mien. Comment pourrais-je m’y prendre ?
Allons. Vous pouvez me le dire. Nous sommes entre nous. Quel risque y a-t-il ?
De la nourriture, peut-être ? De la viande crue, ou au contraire des plats délicats ? De l’extraordinaire ou du réconfortant ? Qu’est-ce qui pourrait détendre mon renard toujours sur ses gardes ?
Du charme, alors ? C’est lui le maitre charmeur, mais peut-être a-t-il envie d’être courtisé à son tour. Tenue experte ou naturel désarmant, qu’est-ce qui peut faire mouche et faire tomber le masque ?
Et si je me contentais d’être honnête, après tout ? J’ai deviné ce qui se cache derrière son masque, mais peut-être sera-t-il touché que j’enlève le mien. J’hésite. J’ai peur de lui faire peur. Vous, depuis que je suis là, je vois bien que vous n’êtes pas du tout à l’aise. Je le sens, même. Alors que tout de même, nous ne sommes plus au moyen-age. Soyez moderne et cessez de trembler, que diable.
De nos jours, qui a encore peur du loup ?
L'aquarium
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 3 août
Thème : Bleu lagon/le cheval doré
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Les humains s’agglutinent de l’autre coté de la vitre. Les reflets bleus de la lumière traversant l’eau dansent sur leurs visages. Ils sont presque tous silencieux, ou discrets – les voix se réverbèrent dans cette grande salle comme dans une cathédrale, et ceux qui parlent chuchotent, pour ne pas briser la magie du moment. Ils sont là pour voir, et ils n’en perdent pas une miette.
Il faut dire que le spectacle est à la hauteur.
La vie sous-marine d’un récif de corail se déroule sous leurs yeux émerveillés, dans un lent et superbe ballet mille fois rejoué. Devant un mur bleu lagon qui apporte ses teintes à toute la pièce, toutes les créatures se mettent en scène avec une gracieuse indifférence envers leurs admirateurs, occupés à fouiller, nager, explorer les coins et les recoins de ce minuscule bout de mer qui est devenu leur maison. Beaucoup n’en ont jamais connu d’autre. Ils ignorent ce qui se passe de l’autre coté de la paroi de verre, chez ces créatures qu’ils peuvent encercler, mais jamais toucher. Ça ne les concerne pas vraiment.
Sauf un petit hippocampe jaune, qui vient de tomber nez à nez avec un petit cheval doré. Jamais, de mémoire d’hippocampe, il n’avait vu de congénère aussi intriguant, aussi attirant. Il se colle contre la vitre. Pour la première fois de sa courte vie, il voudrait tellement passer de l’autre coté…
Le cheval est dans la main d’un enfant qui regarde, émerveillé, l’hippocampe suivre le moindre de ses gestes. Et la petite tête dorée semble réagir à la cour effrénée que lui fait l’hippocampe, bougeant d’avant en arrière, en haut et en bas… Le cheval des mers redouble d’efforts, ses congénères remarquent le manège et se mêlent à la danse, et pendant quelques instants hors du temps, un petit humain mène de la main le ballet sous-marin.
Les adultes remarquent. Des vidéos sont filmées. Des flash crépitent. Les hippocampes renoncent. Le moment est passé.
N’en reste plus qu’un jouet, dans la main d’un enfant qu’on emmène dans la salle suivante, un petit cheval doré et ses incroyables pouvoirs.
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Le silence
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 4 août
Thème : Puzzle/sous la canopée
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Une nouvelle pièce est tirée de la boîte du puzzle. Louis l’examine soigneusement avant de la rapprocher de l’image. Ce puzzle est difficile. Rien ne ressemble plus à une feuille d’arbre qu’une autre feuille d’arbre, et là, sous la canopée, ce ne sont pas les feuilles qui manquent.
Les animaux sont déjà faits. Singe, jaguar, anaconda, tout ça c’est assez facile à repérer et à assembler. Les fleurs, aussi, sont presque toutes déjà placées, ou au moins installée environ à la bonne distance des bords. Les bords sont bien sûr déjà finis, c’est la première chose à faire et Louis s’y applique consciencieusement, à chaque fois qu’il ouvre une nouvelle boite.
Il aime les puzzles. Il a toujours aimé ça. Ça empêche de penser.
Louis est installé sous la table – privilège des enfants, en tout cas ceux qui sont encore dans le groupe des petits. Il aimerait bien que la nappe des jours de fête soit installée. Ça ferait comme une cabane de tissu. Il aime bien les cabanes. Il se sent protégé dedans. A l’abri.
Au-dehors, la pluie tambourine contre la vitre, furieuse.
Au-dedans, les éclats de voix toutes aussi furieuses, mais différentes. Feutrées. Les voix de parents qui ne veulent pas que les enfants entendent les disputes.
Là-haut, Lisa est dans sa chambre, écouteurs sur les oreilles, la musique à fond. Elle a passé l’âge de jouer sous la table. De toute façon, Louis ne comptait pas vraiment sur elle. Quand les cris démarrent, c’est chacun pour soi. Chacun sa cachette. Son évasion. Sa technique pour ramener le silence.
Louis se concentre sur ses feuilles. Son puzzle est bien plus dur que ceux recommandés à son âge, mais il s’applique. Et Papa et Maman sont si fiers de lui, après. Ils s’en vantent auprès des autres adultes, la félicitation suprême. Louis qui est si intelligent. Louis qui est si sage. Ah, on a bien du souci avec Lisa, c’est l’âge, c’est la crise d’adolescence, mais Louis est un enfant modèle. Un amour. Un ange.
Louis s’applique. Plus c’est dur, mieux c’est. Il y est presque, dans la jungle. La canopée s’épaissit, feuille après feuille, liane après liane. Les fleurs qui voguaient encore sans amarres trouvent leur place peu à peu dans cette luxuriance verte. C’est plutôt joli.
Un claquement sec dans la cuisine. Le bruit d’une gifle. Louis sursaute comme si c’était un coup de tonnerre. Il regarde un peu, sans les voir, les pièces qui restent devant lui. Elles deviennent floues. Les larmes qui montent. Une porte qui claque. Le moteur de la voiture qui s’éloigne. Des sanglots dans la cuisine.
Il se concentre.
On ne montre pas aux adultes qu’on sait. Ça leur fait de la peine. Il n’y a rien dans la cuisine. Il ne s’est rien passé. Louis essuie ses yeux. Il finit son puzzle. Les feuilles. Les arbres. La canopée. En la regardant assez fort, elle pourrait l’engloutir – offrir un abri plus puissant encore que la table avec sa nappe des jours de fête, un refuge où personne ne pourrait venir le chercher. Il vivrait au milieu des fleurs, des singes et des jaguars.
La pluie tambourine à la fenêtre, de moins en moins fort. Le silence retombe sur la maison.
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Voyage
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 5 août
Thème : Vibration/souvenirs d’autres vies
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Le tintement du bois sur le bol tibétain. Juste une note qui résonne jusqu’à l’intérieur d’elle-même. Une vibration.
Elle se concentre. Sur l’instant. Sur son corps.
La note. Vibration.
Elle n’existe plus qu’en une minuscule version d’elle-même, de plus en plus concentrée. Elle devient son souffle à l’intérieur de son corps. Une toute petite molécule d’air à l’intérieur de ce souffle.
Vibration.
Encore plus petit. A l’intérieur de l’intérieur. Jusqu’à
Vib
ce qu’elle se traverse elle-même, son âme qui se retourne comme un gant, et qui se redéploie de l’autre coté
Tout ce qu’il y a à voir tout ce qu’il y a à découvrir de l’autre coté des autres vies tant d’expériences tant de sensations tant de souvenirs tous ces univers qui sont là qui sont ailleurs qui sont autres comment tout voir tout comprendre tout engranger plus vite plus viteplus vite encore
et c’est trop, déjà la fatigue arrive, toute cette énergie venait d’un autre corps trop lointain, il faut revenir, l’âme qui se recentre et retraverse, revient à la maison
ration
toujours minuscule de retour dans son propre corps, sa propre vie, et peu à peu
Vibration.
la concentration s’affaiblie, laissant la pensée se dilater, s’épanouir, dans tous le souffle, tous les poumons.
La note. Vibration.
Elle revient à elle peu à peu et reprend possession de son corps. Son esprit. Son être uni à nouveau avec elle-même.
A nouveau, le bois tinte sur le bol, laissant flotter dans les airs une nouvelle note, une ultime vibration.
Elle ouvre les yeux.
« C’était rapide. Tu as pu trouver ce que tu voulais ?
Elle s’étire, savourant ce simple geste. Dans sa tête, les souvenirs du voyage menacent de s’effacer, aussi fugaces que des rêves. Si près et si loin à la fois.
— C’était… instructif. »
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Flirt
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 6 août
Thème : papillon/chat GPT
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« C’est l’ef-fet pa-pi-llon… »
La radio passe une chanson de Benabar. C’est un chanteur que j’aime bien. Je vais le prendre pour un bon signe. J’ai besoin de toute l’aide disponible : si les dieux, les anges gardiens ou tout le folklore qui peuple les cieux décident de se mettre de mon coté, ça me va.
Je reste concentré sur mon message. Il doit être parfait. Et je sais que je suis particulièrement nul à ça. Donc j’ai fait appel à une autre aide, plus concrète. Non, pas un ami, ou plutôt un ami dans le même style que quand on dit que Google est ton ami. J’ai ouvert Chat GPT. Et je viens de passer une demi-heure à lui expliquer la situation.
« Petites causes, grandes conséquences… »
C’est que le cas est grave, et compliqué. Ma relation avec Milène pourrait être le centre de ma vie, le point culminant de mon existence. Si cette relation existait. Ce qui est délicat. Pour tout un tas de raisons que j’ai eu bien du mal à faire comprendre à l’IA. Mais ça y est, il a l’air d’avoir saisi l’enjeu. Il me dit :
Vous voulez formuler votre message de manière romantique, sans sous-entendu qui serait mal interprété. Ai-je bien compris votre requête ?
C’est le mieux que je puisse obtenir, alors je réponds oui et je lui envoie le premier jet de mon message. Quelque chose de très simple : quelques compliments et une demande pleine d’espoir de faire davantage connaissance. Il me faut simplement un petit coup de pouce pour lui donner un peu plus d’allure. Me démarquer du lot.
Chat GPT réfléchit.
« Pourtant joli comme expression… »
Il répond, et sa formulation est parfaite. Exactement ce que je voulais ! Comme si un condensé de tous les écrivains romantiques des deux derniers siècles s’était penché sur mon cas ! Non, il ne faut pas prendre le temps de réfléchir, ni d’hésiter, sinon je ne le ferai jamais : j’envoie !
« Petites causes… dégâts immenses. »
Sa réponse est immédiate. Parfaite. Elégante. Fleurie. Charmante.
Et je n’ai aucune idée de si elle dit oui ou non.
Je regarde Chat GPT sur mon écran.
Il connaitra la solution à ce problème, non ?
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Encyclopédie
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 7 août
Thème : volutes/tomber, encore
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« Tu savais que les volutes sont une forme géométrique qui sert à orner les chapiteaux ?
Je sais que ce gosse me fatigue, mais moins que ses parents qui ont eu la brillante idée de lui interdire internet – lieu de tous les vices – mais de lui offrir des encyclopédies – lieu de toutes les sagesses. Enfin, c’est mon boulot. Je plaque un sourire sur mon visage et je donne la réponse attendue :
— A bon ? Je croyais que c’était une forme… tu sais, une forme qui bouge, comme de la fumée.
Il me regarde avec beaucoup trop d’assurance pour son mètre treize et me répond doctement :
— Mais non, ça c’est un abus de langage. Une volute, ça veut dire une spirale. On peut parler de volute de fumée quand elle fait des spirales. Mais normalement, c’est de la sculpture, en pierre, sur le chapiteau des colonnes !
— A bon, ce n’était pas un chapiteau de cirque ?
Le piège est grossier, mais il tombe dedans à pieds joints, encore une fois.
— N’importe quoi, un chapiteau c’est le sommet d’une colonne en pierre ! Et tu sais qu’elles étaient formées au compas, en réduisant le rayon tous les quarts de cercle ?
Oh, ça y est, je sais où nous mène cette discussion. Mais je vais encore un peu l’âne.
— Non, je ne pense pas qu’on puisse faire une spirale en pierre avec un compas, c’est trop dur.
Celle-là aussi fait mouche.
— Mais noooon ! On fait le dessin au compas ! Après on sculpte la pierre ! Et c’est trop beau ! Une grande tradition de l’art architectural sur les colonnes ioniques ! Tu comprends maintenant ?
Je comprends que je pourrais le faire lanterner encore un moment, mais bon, on ne va pas y passer la journée. Il sait très bien que je vais céder.
— Et est-ce que par hasard tu voudrais faire des volutes en pate à sel quand on sera rentrés à la maison ?
Ses yeux brillent, tout content de m’avoir eu encore une fois. Je ne sais pas comment expliquer à ce gosse que de toutes façons, c’est mon boulot de lui faire faire des activités – et que pire encore, je serais ravi de le faire même s’il ne me récitait pas toute son encyclopédie pour justifier de se salir les mains. C’est un enfant, toute activité qui implique de patouiller une substance gluante est de toute façon bonne pour lui, mais j’ai l’impression que personne ne l’a mis au courant.
Pour l’instant, il se contente d’accepter ma proposition, en expliquant lui-même les propriétés éducatives du chapiteau de colonne ionique.
Au secours.
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Parfaitement normal
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 8 août
Thème : monstres/noir et blanc
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Ces vieux films de monstre en noir et blanc la remplissaient de fascination. Mais d’une manière tout à fait normale, bien sûr.
Mona n’y pouvait rien, elle adorait tout simplement ces créatures. Bien que l’Hollywood du début du XXème siècle décerne automatiquement le rôle de méchant à chacun de ces êtres en effets spéciaux hasardeux, Mona était toujours du coté des monstres : incompris, humiliés, chassés impitoyablement, ils étaient sans aucun doute la véritable victime dans toutes ces histoires ! Qui ne commencerait pas à enlever de belles jeunes femmes et tuer des villageois sans nom s’il était traité comme ça ?
Elle était moins fan des monstres de l’horreur modernes. Ce n’était pas parce qu’elle détestait les effets numériques, ni la qualité des œuvres et des monstres. Beaucoup avec été créés avec beaucoup de soin et de passion par de grands artistes. Non, ce qu’elle leur reprochait, c’était la place dans l’histoire. Dans les vieux films, le monstre est un monstre pour ce qu’il est, ce qu’on voit. La réaction du spectateur est censée être la même que celle des humains qui le croisent, et les quelques moments de communication sont chargés de sens et d’émotion, lourds de la possibilité d’un autre avenir, d’une autre façon de faire. Alors que dans les films modernes, le monstre est un prétexte à la bravoure des personnages. Ce ne sont pas les monstres le sujet. Ce que Mona avait beaucoup de mal apprécier.
Enfin, peu importe. A son âge, c’était son petit plaisir coupable et inattendu, voilà. Un jardin secret. C’est parfaitement normal d’avoir ses petites passions de niche. Vive internet et ses pépites de l’âge d’or d’Hollywood, patiemment restaurées pour de belles rééditions blue-rays et tout aussi patiemment piratées pour être disponibles à qui veut se donner la peine de les chercher. Et de les aimer. Différents, oui, différents des humains, différents des autres films, différents des goûts des autres gens. Les petits détails de soi qui n’ont aucune importance et qu’on cache au fond d’un placard ou de son historique de navigation. Ça ne comptait pas.
Et l’envie – juste une vague idée accompagnée d’un désir plus vague encore - d’être à leur place ne comptait pas non plus. Evidemment qu’elle ne voulait pas réellement provoquer le choc et la peur juste en étant une silhouette floue qui se découpe à l’horizon. Elle ne voulait pas non plus que la seule mention de son nom terrorise des villageois inculte et pousse le héros à s’armer lourdement. Elle n’a jamais rêvé d’avoir des crocs, des griffes ou même des pinces géantes qui feraient hurler les belles jeunes femmes en robe blanche.
C’est juste qu’elle y pense, parfois.
C’est sûr que ce n’est pas avec son mètre cinquante quatre et ses quarante-neuf kilos qu’elle pourrait susciter un jour ce genre de réaction.
Ce n’est qu’une pensée vague. Une idée en l’air. Qui lui vient souvent.
Et de plus en plus.
C’est sans doute parfaitement normal.
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Pour les poubelles et le poulet
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 9 août
Thème : démolition/coyotes et renards
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« Sérieusement… ça fait mal au cœur de voir ça.
— Alors ne regarde pas.
— Mais je ne peux pas ! C’est notre maison qui part ! — C’était.
— Quoi c’était ?
— C’était notre maison.
— Mais…
— Maintenant c’est un chantier d’autoroute. Fais avec.
— On t’a jamais dit que tu n’avais pas de cœur ?
— Parfois, et surtout on ne m’a jamais dit que je manquais de cervelle. Réfléchis, sac à puce. Qu’est-ce qui arrive avec les autoroutes ?
— Des voitures.
— Et avec les voitures, des… ?
— Des… accidents de voitures ?
— Oui, c’est certain que toi et les autres coyotes vous allez devoir faire sacrément gaffe à vos fesses poilues, surtout la nuit. Mais je ne te parle pas de ça. Moi, je te parle d’une aire d’autoroute. D’un relai. D’une cité-dortoir vide toute la journée pendant la migration humaine quotidienne. Et qu’est-ce qui va arriver avec tout ça ?
— Heu… des chats ?
— Oui, si tu veux. Mais surtout…
— Parce que c’est vachement bon, les chats.
— Ça ne vaudra jamais un poulet. Non, ce qui va arriver en masse, ce sont les poubelles !
— Oh.
— De la nourriture à volonté ! Du bœuf ! Du porc ! Du mélange bizarroïde délicieusement salé ! Du chocolat ! Et surtout le summum de la gastronomie humaine : du poulet ! Pense à tous ces os de poulet qui nous seront offert encore plein de chair ! Et les restes de poulet frit ! De sandwich de poulet ! De…
— Vous, les renards, vous aimez bien le poulet, non ?
— On aime le poulet exactement à la mesure de ce qu’il mérite !
— Tu baves.
— Evidemment ! Et tu devrais baver avec moi ! Pense aux poubelles !
— Pour l’instant, je pense surtout qu’ils sont en train de démolir notre maison, et ça me rend triste. Je préfère chasser ma nourriture et rentrer tranquillement dans mon terrier que de devoir esquiver leurs voitures, leurs chiens et leurs fusils, tout ça pour une poubelle au poulet.
— Tu n’as pas le goût du challenge. Peut-être que parce que les coyotes sont nuls quand il s’agit d’ouvrir une poubelle un peu sophistiquée.
— Alors tu devrais peut-être en parler à quelqu’un qui te comprend, comme un raton-laveur.
— Et pourquoi pas, ils font des merveilles avec leurs petites pattes… hé, reviens ! Ne sois pas vexé, je ne vais pas te remplacer par un raton-laveur ! Je voulais juste te remonter le moral !
— Franchement, pour quelqu’un qui se vante d’être tellement intelligent, il y a des fois où tu es juste vraiment con. »
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La musique des Sphères
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 10 août
Thème : humanité/le musicien fantôme
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Qui a prétendu que seule l’humanité connaissait la musique ?
Seuls les humains écrivent la musique, oui. Ils ont eu cette idée étrange de passer par la vue pour transmettre le son. Pourquoi pas. D’ailleurs, ils ne le font pas tous, ni toujours, ni partout.
Mais ils ne sont absolument pas seuls à connaître la musique.
Tout le monde animal chante, bruisse et rythme sa vie de sons qui leurs sont propres et précieux, musiciens appréciés de leurs pairs, et parfois au-delà – surtout les oiseaux, sauf bien sûr les canards. Une musique de vie, de territoire, d’avertissement, de joie et de reproduction, une musique qui rythme les jours des musiciens.
Tout le monde végétal chante, aussi – discrets bruissements pour lesquels il faut tendre l’oreille, murmure des échanges chimiques entre les racines, pop léger des bourgeons et des fleurs qui éclosent, vibrations. Les musiciens de la chlorophylle ont un tempo lent, ça ne les empêche pas de diriger le monde, chefs d’orchestres discrets d’une vaste symphonie. Le monde entier, après tout, bat à leur rythme qui marque l’année.
Et le minéral, croyez-le ou non, joue aussi sa partition. Lente et grave, puissante et rocailleuse, égayée par le murmure d’un ruisseau et le tintement des gouttes de pluie, secoué par les grondements féroces de la terre et le claquement implacable du tonnerre – nul ne peut ignorer le plus puissant des musiciens, celui qui tient la vie de tous les autres dans le creux de sa paume.
Non, le talent propre à l’humanité, ce n’est pas la musique – c’est d’avoir su écouter celle des autres. Entendre ce que leurs oreilles ne pouvaient pas atteindre. Enregistrer chaque vibration, chaque rythme, et en jouer la musique secrète. Jusqu’au chant des étoiles qui parvient jusqu’à nous, y compris les étoiles mortes, musiciens fantomes dont nous reconstituons méticuleusement la voix.
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Je vois...
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 11 août
Thème : Voyance/la vie d’un pigeon
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Ne croyez pas ce que vous disent les films. Une bonne voyante ne commence jamais par « je vois ». D’abord, il faut qu’elle prenne du temps pour connaître son client, ses souhaits, ses résistances. Du temps pour qu’elle se connecte réellement à lui. Puis à son avenir. Alors seulement, si tout se passe bien, elle voit.
Celle-ci n’est clairement pas une très bonne voyante.
« Je vois… je vois…
Ce qu’elle voit, plongée sur sa boule de cristal, c’était sans aucun doute la vie d’un pigeon. Je n’ai jamais nié l’être. Je paye beaucoup pour quelques mots de réconfort. Un peu d’espoir. Et si le message n’est pas assez positif, je change de crèmerie.
Mais est-ce qu’on peut vraiment s’auto-catégoriser pigeon ? Si on sait pourquoi on paye, on n’est pas déçu, non ? Et ça reste moins cher que le téléphone rose. Enfin je crois.
— Je vois… de l’eau.
— De l’eau ? Une île ? Je vais partir en vacance sur une île ?
L’idée me plait bien. Peut-être qu’après tout, j’avais mal jugé la dame. Elle n’a pas assuré en matière de spectacle, mais si on part directement sur les fantasmes de tropiques, ça me va.
Elle a vite douché mon enthousiasme.
— De l’eau stagnante. De la vieille eau. Dans un lieu humide.
Beurk. Ce n’est pas avec ce genre d’avenir qu’elle peut compter me garder comme client. Je tente quand même de la remettre sur les rails.
— Un lieu humide, comme une grotte ? C’est une visite ? Un bel endroit à découvrir ?
— Je vois la mort. Une scie. Une cave.
Ah. Ça, ce n’était pas prévu.
— Je vois une femme terrifiée. Un meurtre. Une valise.
Tsss. Une bonne voyante devrait être capable de prévoir les conséquences de ses visions – et à quel moment elle devrait fermer sa gueule. Je cherche du regard un objet contondant à portée de la main. Tant qu’elle concentrée sur la boule, son crâne est sans défense.
— Je vois du sang. Tellement de sang. Des vêtements brûlés.
Ça va, ça va, pas la peine de me faire un dessin, j’étais là, je m’en souviens très bien. Vieille saloperie. J’avais demandé mon avenir, pas mon passé !
Et puis merde. En terme d’objet contondant, j’ai tout ce qu’il me faut sous la main après tout, et j’attrape la boule….
« Mains en l’air ! Bougez plus ! »
Les flics débarquent, envahissant le petit espace du cabinet de voyance, et je me retrouve menotté avant d’avoir eut le temps de dire ouf. Et alors que les policiers essayent de réconforter ma voyante, qui a l’air d’aller très bien, elle me dit avec calme :
« Une bonne voyante commence par prédire sa propre journée. Ça peut aider quand on croise des cas comme le vôtre… Mais ne vous en faites pas : je vous prédis une très longue vie, dans un environnement pas trop ensoleillé, et aux frais de la princesse ! »
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La forêt qui s'agite
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 12 août
Thème : forêt/sur le devant de la scène
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Quand on fait la forêt, on n’est pas sur le devant de la scène. C’est comme ça.
On a un rôle muet collé par la maitresse parce qu’il fallait bien que tout le monde participe au spectacle de fin d’année et qu’elle pense qu’on ne sera pas très bon pour apprendre un texte ou le réciter en public, ou les deux. Et ce n’est pas parce que c’est vrai que c’est pas très énervant. En fait c’est même pire.
Donc on est planté là – lol, planté, comme un vrai arbre – au fond de la scène, et il faut agiter les branches. Enfin les bras. Les branches sont attachées sur les bras. Donc il faut agiter les bras pour faire comme si on était un arbre qui bouge les branches. Alors il ne faut pas faire ça n’importe comment, les arbres ça ne fait pas des grands mouvements de ventilateur avec leurs branches, sinon tout le monde s’inquiète, donc on s’entraine, et la maitresse dit que ça ne va pas, alors on refait, et au bout d’un moment c’est bon, on sait faire les branches qui s’agitent.
Sauf qu’en fait, si on y réfléchit bien, les branches d’un arbre ça ne s’agite pas du tout. Des fois un peu, quand il y a du vent. Mais pas dans tous les sens comme on fait. Comme si la maitresse voulait juste nous faire faire quelque chose.
C’est trop nul d’être une forêt.
Ca y est, c’est le grand jour. Tous ceux qui font la foret ont leur costume d’arbre en carton. On est bien alignés. On agite nos branches quand les autres font leurs répliques. Eux, ils ont droit de faire du vrai théâtre, il y a une histoire et tout.
Bon. Imaginons - juste comme ça – que ce soit l’orage. Ça peut arriver.
Si c’est l’orage, il peut y avoir la foudre.
Si il y a la foudre, elle peut tomber dans la forêt.
Si elle tombe dans la foret, elle peut faire s’écrouler un arbre.
Et après cet arbre peut rouler, rouler, rouler, et faire tomber tous les autres arbres de la forêt comme des quilles, et finir tous en tas, sur le devant de la scène.
Moi je pense que ça serait super intéressant dans la pièce. Histoire que les parents ne s’ennuient pas. Il y a de la surprise, de l’aventure, des troncs d’arbres qui roulent. Ce serait top !
Vous n’êtes pas d’accord ?
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Le vortex
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 13 août
Thème : tourbillons/la lumière sous la porte
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Le mage récite l’incantation, lentement, avec le soin extrême que sa profession réserve aux mots de pouvoir. Et ça marche. Un tourbillon commence à se former devant lui, d’un bleu lumineux qui semble tout sauf naturel, et qui s’agrandit à chaque mot – rapidement rejoint par un autre tourbillon, à l’intérieur, tournant en sens contraire, d’une lumière plus verte. Viennent ensuite deux tourbillons perpendiculaires aux deux premiers et de couleurs différentes, donnant une forme de sphère au sort, puis d’autres, de plus en plus, dans tous les sens, de toutes les couleurs, qui s’entourent et s’entremêlent sans jamais se couper la route. Le spectacle est à la fois à couper le souffle et à donner mal au coeur. Ça tangue fort, mais sans bouger.
Pendant que le paladin se détourne pour vomir son déjeuner – la barbare se moque de lui, évidemment – le mage termine son incantation. Reprennant sa voix normale, il dit d’un ton beaucoup trop joyeux :
« Parfait ! Il a l’air stable, on peut y aller !
— Attend, demande la barde qui le connaît bien. Comment ça, il y a « l’air » stable ? Il est stable ou il est pas stable ?
— Il est stable, ne t’en fais pas.
— Tu es sûr ? Comment tu peux voir ça ?
— Ecoute, c’est comme quand tu vois de la lumière sous la porte et que tu en déduis que de l’autre coté de la porte, la pièce est éclairée. Les tourbillons tourbillonnent impeccablement, donc il est forcément stable. Sinon ils se rentreraient dedans.
— Mais tu ne veux pas le tester d’abord ? On pourrait invoquer un petit animal et voir ce que ça donne.
— On n’a pas le temps ! Ce vortex ne va pas rester ouvert mille ans, et j’ai mis des plombes pour mettre la main sur cette formule ! Allez, viens !
La barde regarde rapidement le reste de l’équipe. Ils sont prêts, leur équipement à la main, et ne se posent pas plus de questions que ça.
— Bon, ok, ok…
Le mage lui fait un grand sourire de victoire, aussi elle ajoute :
— Mais tu passes en premier. »
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Jour de fête
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 14 août
Thème : changement/crieront-ils mon nom
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Que la joie éclate dans les rues,
Fête, liesse et allégresse !
Le temps du Changement est venu
Annoncé par la Prophétesse
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Que la joie éclate dans les rues,
Que les hommes crient leur victoire,
Qu’ils crient à gorge rompue,
Ou sinon gare…
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Que la joie éclate dans les rues,
Et sur le passage de ma charrette,
Qu’on crie, qu’on siffle, qu’on hue,
Jusqu’à ce que le bourreau coupe ma tête
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Que la joie éclate dans les rues,
Et parmi les éclats de voix,
Crieront-ils mon nom comme celui d’un déchu,
Ou comme celui qui fut leur roi ?
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Mais prend garde, toi qui as invoqué le Changement,
Prends garde à voir ton souhait exhaussé,
Toi qui te pense leur sauveuse naïvement,
Et qui, pour célébrer la Mort, as demandé
Que la joie éclate dans les rues.
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Elle s'appelle Blanche
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 15 août
Thème : Le corps/six mois dormir
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C’est… perturbant.
Le corps est là depuis longtemps, il est impossible qu’il en soit autrement. Il n’a pas été enterré, il a été posé dans la forêt, et la terre, les feuilles mortes et les plantes se sont accumulées dessus petit à petit. Sans oublier qu’on sait très bien que la demoiselle a été assassinée il y a six mois. Une avalanche de preuves le démontre, dont une vidéo. Il ne manquait que le cadavre.
Le cadavre est frais comme une rose.
L’inspectrice s’accroupit tout en mettant sur sa main un gant en latex. Elle a beaucoup de choses à examiner sur ce corps, mais sa première impulsion est de chercher le pouls. La victime a l’air si vivante…
Sous ses doigts, la peau est douce et élastique. Tiède.
Son propre cœur bat à tout rompre. Non, ce n’est pas possible que la jeune fille soit vivante, qu’elle n’ait fait que dormir six mois, à même le sol, dans cette forêt si…
Une forêt si enchanteresse, et si calme à la fois. Pas un bruit, ni un pépiement d’oiseau, ni un bourdonnement d’insecte. Le corps repose dans une clairière, exactement où il faut pour qu’un rayon de soleil doré l’illumine. L’endroit a des allures de cathédrale végétale.
L’inspectrice ne trouve pas le pouls, bien sûr, quelle idée absurde. En attendant elle a trouvé le corps signalé par le promeneur, et en dépit de ses bizarreries il est temps d’enclencher la procédure. Appel au poste, protection du périmètre, envoi de la police scientifique… Elle a hâte d’avoir l’avis du légiste sur ce cas. Vraiment très étran...
Elle était en train de saisir sa radio quand une chouette fond sur elle et lui laboure la main de ses serres. Ah, d’où elle sort, cette saleté ? Ça fait un mal de chien ! Et depuis quand les chouettes se pointent en plein jour ?
En regardant autour d’elle pour chercher son agresseuse à plumes, l’inspectrice s’aperçoit que chaque branche de chaque arbre est recouverte d’animaux. Oiseaux, écureuils, chauve-souris. En-dessous, les buissons sont remplis également de lapins, de renards, de blaireaux, de daims et de cerfs – sans oublier toutes les bestioles de la forêt qu’elle serait incapable d’identifier. Tout ce petit monde reste là, sans un bruit, se contentant de la fixer des yeux d’une manière qui la terrifie.
Lentement, prudemment, elle amorce à nouveau le geste d’attraper sa radio. Toutes les têtes bougent au rythme de sa main.
Une voix bourrue la fait sursauter :
« Allons, ce n’est pas la peine de faire ça, mademoiselle.
Elle se retourne. Personne. Ah, non, son interlocuteur est nettement plus bas. C’est une personne atteinte de nanisme – si c’est comme ça qu’on dit pour être politiquement correct aujourd’hui, en tout cas il ne donne pas envie de l’appeler « personne de petite taille ». Rien chez lui n’a l’air très petit, à part bien sûr la hauteur. Il est très large, très fort, et sa voix ressemble au bruit d’une avalanche de pierres.
Plus que nerveuse, l’inspectrice passe en mode automatique et lui répond d’une voix sèche :
— Inspectrice Zenigata, police criminelle. Je vous prie de dégager la zone, ceci est une scène de crime dans une enquête en cours.
— Non, répond tout simplement le nain. Ceci est un lieu de recueillement pour nous tous. Vous voulez la voir ?
— De recueill… Monsieur, vous savez qu’il y a un cadavre là ?
— Elle s’appelle Blanche, et elle n’est pas morte.
— Vous la connaissez ! Vous allez avoir de nombreuses questions à répondre au poste…
— Non.
Il s’avance. Il n’a rien de menaçant dans son attitude, si on ignore le fait qu’il ressemble à une force de la nature, et que l’inspectrice n’est absolument pas certaine qu’elle pourrait le maitriser s’il le fallait. Comment peut-on humainement être aussi large que haut ? Elle ne va quand même pas lui tirer dessus !
Mais elle se sent très seule dans cette forêt, sous le feu du regard des animaux dont au moins un a l’air d’avoir la rage, et la situation n’est plus sous son contrôle depuis beaucoup trop longtemps. Elle attrape enfin sa radio et appelle du renfort.
Elle n’entend rien en retour. Pas même en crachotement. Comme si l’appareil était éteint, ou mort.
En attendant, l’homme a presque atteint le cadavre. Il se penche devant et soupire :
— Mes frères et moi voulions lui créer un cercueil de verre. Vous savez, pour la protéger de la terre. Mais elle aimait tellement la nature. Elle aurait voulu sentir les racines des plantes pousser sur elle, vous comprenez ?
— Reculez ! Dernier avertissement ! Reculez tout de suite ou je tire !
— N’est-elle pas magnifique ? ajoute le nain en se tournant vers l’inspectrice. N’avez-vous pas envie de la sauver ?
Elle sort son arme de service de son étui. Elle ne s’en est jamais servi et ne voit pas par quel miracle toute cette histoire ne finira pas en bavure, mais il est hors de question qu’elle laisse s’échapper cet homme. Même si ce n’est pas lui l’assassin – c’était un chasseur, qui lui a arraché le cœur au couteau de survie, un meurtre horrible – il est sans aucun doute un complice.
Et un taré. Il s’agenouille devant le cadavre et commence à nettoyer délicatement la terre qui recouvre son visage.
— Arrêtez ça ! Levez les mains en l’air, ou je tire !
— Vous êtes sûre, mademoiselle Zenigata ? Vous ne préféreriez pas la sauver ? Vous auriez dû la connaître. Elle était si gentille. Vous seriez si heureuses, toutes les deux.
— Je…
Quelle histoire de fous. Du début à la fin. Comment est-ce qu’elle peut se sortir de…
— N’insiste pas, dit une autre voix aussi rocailleuse que la première.
Un autre nain est arrivé, au moins aussi massif que le premier. Et un autre. Combien sont-ils en tout, et d’où sortent-ils à la fin ? Elle n’a entendu aucune voiture !
Le premier lui répond :
— Elle pourrait être la bonne. Elle pourrait la réveiller.
— Non, mon frère. Tu ne vois pas qu’elle est terrifiée ? Elle n’a pas ce que nous cherchons. Il faudrait le cœur d’un prince…
— Les princes n’existent plus. Elle a un cœur de chevalier protecteur, c’est déjà beaucoup. Ça pourrait marcher…
L’inspectrice balaie la clairière du regard, pistolet en avant. Ils sont sept, puissants, barbus, massifs, qui semblent avoir émergés de la terre elle-même. Et ces satanés bestiaux qui n’arrêtent pas de la fixer…
Un nain à la longue barbe blanche prend la parole – sa voix ressemble au grondement d’un tremblement de terre et il est à peine compréhensible :
— Si elle avait voulu le faire, elle l’aurait fait. Patience, mes frères. Le temps n’est pas encore venu. »
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Lorsque l’inspectrice se réveille, il fait nuit, et il ne reste personne – ni corps, ni nains, ni animaux. Rien que la vague sensation d’être passé très près de quelque chose d’extraordinaire, et de l’avoir manqué.
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Le prince à vélo
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 16 août
Thème : vélo/je suis en vie
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La terre est fraiche et douce sur ma peau. Les racines des plantes m’enlacent tendrement. Mon sommeil est paisible.
Six mois qu’on m’a tuée et qu’on m’a déposée là. Mon histoire ne débute pas ici. Mais elle ne s’y arrête pas non plus.
J’attends.
Parfois un bruit brise mes rêves de forêt. Les pas lointains d’un promeneur. Le grondement plus lointain encore d’un avion dans le ciel. La sonnette d’un vélo. Toujours trop loin pour venir me sauver. Et même ceux qui se rapprochent… tout le monde n’a pas le cœur d’un prince. Leur choc et leur horreur en me découvrant ne leur permettent pas de faire ce qu’il faut.
Peu importe. J’ai tout mon temps.
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Ce n’est pas vraiment que j’ai perdu patience – le temps n’est qu’une information quand on est mort. C’est qu’il m’a agacée, avec son vélo.
Qu’on ne me voit pas depuis le sentier de randonnée, c’est normal – mes amis se recueillent régulièrement devant mon corps, ils ne l’ont pas installé n’importe où. Qu’on ne me voit pas quand on franchit les buissons et qu’on arrive dans l’herbe courte, c’est déjà moins banal. Mais qu’on me roule dessus sans me voir du tout ! Non mais quel toupet !
J’ai mal réagit, je m’en suis rendu compte seulement après. Mais ça faisait si longtemps que je n’avais pas ressenti la colère, moi qui dormais si bien. Je n’ai pas pu m’en empêcher. J’ai sorti une main de terre et j’ai attrapé la roue de son vélo, à cet imbécile. Dans mon état, je bouge peu, mais quand je le décide j’ai une poigne de fer : il a fait un soleil impeccable et a fini par terre.
J’aurai dû lâcher, mais j’avais envie qu’il débarrasse le plancher. Ma clairière a l’air d’être une piste de cross, peut-être ?
Je m’attendais à lui flanquer une peur de tous les diables, j’avoue. Surtout lorsqu’il aurait tenté de récupéré son vélo et qu’il aurait vu que cette étrange main sortie de terre ne bouge pas d’un pouce. Je l’aurais laissé secouer une ou deux fois avant de lui rendre sa monture.
Au lieu de ça, son premier réflexe en voyant que ce qui l’a fait tomber était une main a été de me chercher, moi tout entière. Ça n’a pas été très long. J’ai été déposée avec soin à même le sol, un peu de terre m’a recouverte peu à peu, mais je ne suis pas difficile à dégager.
Il a marqué le coup en me voyant. J’avoue que j’ai assez apprécié cette réaction. On s’attend à un vilain cadavre et on tombe sur une belle jeune fille pâle, qui parait dormir, ça fait toujours un choc, mais c’est bien la première fois qu’on se donne la peine de me contempler. Alors que j’en vaux la peine.
Il n’a pas crié. Au contraire, il m’a parlé d’une voix douce :
« Mademoiselle, s’il vous plait, pouvez-vous lâcher mon vélo ?
Tant de grâce. Tant de politesse. C’était exquis.
J’ai lâché le vélo.
Il a ajouté :
— Merci infiniment. »
Et il est reparti.
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J’ai attendu qu’il revienne. J’ai beaucoup pensé à lui dans mon rêve.
Et il est revenu.
« On dirait que je n’arrive pas à vous sortir de ma tête.
C’est très bien.
Il ajoute :
— Vos amis m’ont dit que je pouvais vous sauver. Que j’avais ce qu’il faut. Enfin, que j’étais celui qu’il fallait.
Il me prend la main, cette main qui m’avait permis d’attraper son vélo. Comme c’est romantique.
— Je vous en prie, permettez-moi… »
Je permets, je permets. La preuve, tu es encore vivant.
Enfin, il se penche et m’embrasse.
Le sort se lève.
Loin, très loin, dans une boite en bois posée sur le bureau de ma belle-mère, un battement retenti à nouveau, porteur d’une excellente nouvelle qui ne doit absolument pas la réjouir.
Je suis en vie.
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Et boum
Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 17 août
Thème : Marécage/dur à cuire
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Tu sais à quel point c’est dur de faire un feu, dans un marécage ?
Oui, ici, TOUT est humide. En permanence. Tu veux sécher ton bois pour le feu ? Il te faut du feu. Plus de feu que le bois que tu arriveras à sécher un jour. Oui, c’est un putain d’enfer.
Sans les flammes. Du coup.
Donc voilà, faire un feu c’est DUR, ultra-dur. Il te fait un chaudron en métal pour mettre le feu lui-même. Une pâte très spéciale dont la composition est aussi un enfer dans le chaudron. Et un briquet. Non, un feu follet ne fera pas l’affaire. Un briquet, lui aussi bien protégé.
Et maintenant que tu as ton feu, comment tu comptes la cuire, ta viande ? En la mettant dessus pour qu’elle grille tranquillement ? Tu parles. Il y a rien de plus dur à cuire que la viande de dragon des marais. Tu pourrais y passer des HEURES, et je te le promets, ton feu, il va pas durer des heures. Ou alors quoi, au bouillon ? En comptant sur l’eau pour attendrir ta viande ? Et ben bon courage. Tous les moustiques vont trouver qu’elle sent drôlement bon, ta tambouille, et une fois rameutés ils ne vont pas tarder à se dire que derrière ta croûte de vase séchée, toi aussi tu sens la chair fraiche après toi. Ils vont te dévorer vivant, c’est moi qui te le dit.
Non, non, le seul moyen, l’UNIQUE moyen de manger du dragon des marais, c’est la chasse au miroir. Tu t’avances doucement derrière un grand miroir. Le dragon, il se voit de dedans. Il se dit « oh putain, un autre dragon sur mon territoire ! » parce que c’est pas fut-fut, les dragons des marais, on va pas se mentir. Alors là il se met à gonfler, histoire d’impressionner l’autre. Et là il voit que dans le miroir, l’autre dragon se met à gonfler aussi ! Genre c’est un intrus et il essaye de l’impressionner ! Alors il va se gonfler encore plus ! Tu sais que les dragons se gonflent avec leur propre gaz. Et au bout d’un moment, à force de vouloir être plus gros que lui-même… ET BOUM ! Il va exploser.
Et là j’aime autant te dire, dragon des marais grillé par l’explosion de son propre gaz, il va être impeccable. Délicieux ! Et ça sera nettement moins fatiguant.
Crois-moi, quand on veut manger une viande aussi dure à cuire, il faut en avoir dans le ciboulot.
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