Oui Je Devrais Crire Au Lieu De Faire Des Billets De Blog - Tumblr Posts
Le “don” de l’artiste
J’ai l’impression que la fiction ne nous montre jamais l'artiste qui travaille, qui progresse, qui a un monde imaginaire très riche mais qui doit fignoler sa technique pour que les gens autour de lui s'en rendent compte ? C'est toujours « c'est bon, il s'est décidé pour suivre son cœur et vivre sa passion en devenant artiste ». Alors que toutes les étapes sont importantes et font incroyablement peur, parce qu'on a l'impression que tous les autres artistes y arrivent facilement, pire, naturellement. Alors qu'en réalité, tout le monde travaille dur pour se sortir du crâne des idées qui soient compréhensibles par d'autres.
J’y pensais en regardant la fin de Crazy Ex Girlfriend. Il y a beaucoup de choses que j’ai adoré dans cette série – ne serait-ce que toute la médiation autour des borderlines, et à quel point cette série adopte et transcende le genre de la comédie romantique – mais j’ai été déçue que ça ne soit pas abordé dans la dernière saison. L’héroïne, Rebecca, s’imagine en permanence les aspects de sa vie sous forme de comédie musicale, et à la fin elle écrit et joue réellement ses chansons. Mais j’aurais voulu la voir apprendre à le faire. Voir l’écart entre ce qu’elle a en tête et ce qu’elle arrive à jouer se réduire petit à petit, voir sa frustration et ses doutes, comment est-ce qu’elle a gardé la force de s’accrocher à ce rêve, cette certitude qu’elle avait enfin trouvé sa voie. Toute la série est sur ce thème de la différence entre la réalité et sa vision à elle… et avancer techniquement pour enfin s’exprimer en tant qu’artiste aurait été selon moi l’étape finale idéale de cette série. Et ça n’aurait pas empêché tout les autres développements des personnages, d’ailleurs.
C’est assez étrange, je trouve, parce que forcément toutes les œuvres de fiction sont elles-mêmes créés par des artistes qui savent très bien à quel point ils se sont battus pour arriver à exprimer leur art correctement. Pour toujours éluder cette partie ? Ça ne vend pas du rêve ? Ҫa ne fait pas assez magique ? Ou l’apprentissage s’est fait tellement tôt dans leurs vies qu’ils ne considèrent pas que quelqu’un qui va se lancer dans l’art une fois adulte va galérer pour apprendre les bases ?
J’ai presque l’impression que ça ne se fait pas parce que les créateurs n’aiment pas admettre qu’ils ont travaillé. On garde cette idée que l’art, c’est du talent, on l’a ou on ne l’a pas, on sait tout de suite si on est doué ou pas, si c’est notre « voie légitime » ou pas. D’ailleurs, beaucoup essayent de pratiquer un art puis abandonnent parce que « je ne suis pas doué ».
Bien sûr, cette façon de penser est moins fréquente aujourd’hui qu’elle a pu l’être il y a quelques années. Sur les réseaux sociaux, les artistes échangent fréquemment sur leurs trucs et leurs échecs. On voit bien que ça n’a rien de magique, ce n’est pas un « tu l’as ou tu ne l’as pas ». Mais dans la fiction, on parle beaucoup de vocation, de lien entre l’art et la vie du créateur, parfois des difficultés à trouver des idées, mais jamais de l’apprentissage de la technique. Et je trouve que ça manque.