luma-az - Luma Azane
Luma Azane

French writer, écrit de la SFFF et des fanfictions, poste sur l'écriture et reblogue Pratchett

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LAutre Dans Le Labyrinthe

L’Autre dans le labyrinthe

Il ne faut pas que je dorme. Je vais juste m’asseoir un peu, là, dans ce coin, pour qu’il ne puisse pas me surprendre par derrière. Voilà. Surtout, ne pas m’adosser contre la paroi. Mon instinct me hurle de ne pas toucher cette roche noire inconnue, qui émet un bourdonnement presque imperceptible mais clairement menaçant. Malsain.

Les flaques ont toutes séché, à présent. La dernière que j’ai trouvée, je l’ai lapée jusqu’à la dernière goutte, comme un animal. S’il ne repleut pas bientôt, je suis foutu. Mais peut-être est-ce la pluie qui a effacé les marques que j’avais tracées par terre. Ou alors, c’est lui. Depuis le temps que j’arpente ce dédale en tous sens, j’aurais dû retomber sur un de mes repères. Sauf si le labyrinthe est immense. J’ai bien essayé de suivre toujours le même mur - pas moyen de me souvenir si ce doit être le gauche ou le droit, ou si ça n’a aucune importance -, sans succès. Si seulement j’avais eu un fil ! Mais ils m’ont ôté tous mes vêtements avant de me laisser ici, et je n’ai croisé aucune Ariane – je n’ai jamais tapé dans l’œil des filles, de toute façon.

J’ai soif. Comment survit-il, lui, quand il ne pleut pas pendant des jours et des jours ? Une petite voix dans ma tête me souffle que boire le sang des victimes qu’on lui amène à chaque nouvelle lune doit lui suffire. Je voudrais qu’elle se taise.

J’aurais dû, dès le début, quand j’en avais encore la force, lui faire face et l’attaquer. Peut-être que j’aurais eu une chance. Mais après cinq jours sans manger ni dormir, il ne faut plus y songer. C’est la terreur qui m’a retenu. Si je l’avais vu clairement, peut-être aurais-je trouvé le courage. Mais il se terre toujours dans l’ombre, et n’approche jamais suffisamment. Je ne suis parvenu qu’à distinguer vaguement sa silhouette. Aucune rumeur ne parlait de monstre dans le labyrinthe – mais est-ce un monstre ? Et comment se fier aux rumeurs quand personne n’est revenu d’ici ? La silhouette pourrait être celle d’un humain, en considérant qu’il se déplace sur les pieds et les mains, à la façon d’un grand singe. Et en considérant qu’il a été humain il y a longtemps, avant que les Dieux s’amusent à le déformer et à lui ajouter des excroissances avec autant de cruauté que d’imagination. Au bruit que j’entends parfois, je crois qu’il a des griffes, et qu’il les fait crisser contre la roche noire – pour les user ? les aiguiser ? ou juste jouer avec mes nerfs ? J’en suis réduit à deviner, et c’est pire que de l’avoir vu. Parce que, du coup, j’ai imaginé. Et ça m’a ôté toute velléité de l’affronter.

Ca, et le stupide espoir qu’ils m’ont chevillé au corps avant de me balancer dans le labyrinthe. Que si, pour une raison quelconque – qui peut prétendre connaître Leurs désirs et Leur logique ? – les Dieux jugeaient que j’avais plus de valeur vivant que mort, Ils renonceraient à mon sacrifice et me laisseraient sortir. Je me suis raccroché à cette infime possibilité – pourquoi ? Pourquoi, alors que je sais pertinemment que personne n’a jamais eu cette chance ? On l’aurait su. On l’aurait forcément su. Pas vrai ? Pourquoi ai-je cru, comme le dernier des imbéciles, que je pouvais être cette exception ? Eviter la confrontation avec l’Autre et me concentrer sur la recherche de la sortie m’a paru la meilleure option. Après tout, il ne m’attaque pas non plus. Il se contente de me suivre de loin. Mais maintenant la petite voix me répète en boucle que j’aurais dû tuer l’Autre pour prouver ma valeur aux Dieux. Je ne sais pas. Je ne sais plus. A moins qu’il ne soit lui-même un Dieu. A moins que les Dieux n’existent pas…

Il faut que je me remette en route. J’ai rouvert les paupières dans un sursaut – les ai-je fermées une seconde ? plus ? C’est trop dangereux de rester sans bouger. Combien de temps peut-on tenir éveillé ? Tôt ou tard, il va falloir que je dorme. Je le sais. Il le sait. L’Autre dans l’ombre attend son heure.

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4 years ago

Permaculture

Lorsque la graine de tomate donna une petite feuille, puis deux, puis trois, pointant timidement au-dessus de la terre, elle découvrit loin au-dessus d’elle un colosse, un véritable géant végétal, quasiment un arbre à cette échelle. Le plant nouveau-né s’en tint prudemment à l’écart – autant que sa petite tige le lui permit. Il était effrayant, celui-là.

Petit à petit, le plant de tomate grandit, tout comme son immense voisin, et comme son minuscule autre voisin : sous ses feuilles, la large verdure de feuilles de courge commençait à s’étaler au sol, tandis que tout là-haut, une immense fleur se mit éclore au sommet du tournesol. Celui-ci faisait moins peur au pied de tomate, qui s’était peu à peu habitué à sa présence aussi imposante que silencieuse. Heureusement, car leurs destins se retrouvèrent littéralement liés lorsqu’on les attacha l’un à l’autre.

Très gênée, le pied de tomate tenta d’expliquer au tournesol qu’il n’y était pour rien ! Oui, ça devenait de plus en plus dur, ces derniers temps, de soutenir ses propres tiges. De minuscules tomates commençaient à pousser et l’alourdissaient considérablement. Mais quand même, hors de question de se plaindre ni de se laisser aller !

L’autre lui répondit simplement :

— Laisse-toi faire.

— Mais non, je ne peux pas m’appuyer comme ça sur toi, enfin !

— Mais si. Regarde comme je suis grand et fort, alors que tes tiges ploient sous le poids des feuilles. Tu imagines quand tes fruits seront mûrs ! Et puis, je suis là pour ça.

— Mais toi, tu n’auras pas de fruits ?

— J’aurais mes graines sur la tête, mais ça ne change rien. Allez, appuie-toi ! »

Le plant de tomate leva la tête et vit, tout là-haut au sommet, un sourire timide mais amical, le sourire du tournesol. Alors il accepta et posa enfin son fardeau.


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4 years ago

YOU KNOW WHAT BOTHERS ME

when fantasy books describe the cloth of Quant Farmpeople’s clothing as “homespun” or “rough homespun”

“homespun” as opposed to what??? EVERYTHING WAS SPUN AT HOME

they didn’t have fucking spinning factories, your pseudo-medieval farmwife is lucky if she has a fucking spinning wheel, otherwise she’s spinning every single thread her family wears on a drop spindle NO ONE ELSE WAS DOING THE SPINNING unless you go out of your way to establish a certain baseline of industrialization in your fake medieval fantasy land.

and “rough”??? lol just because it’s farm clothes? bitch cloth was valuable as fuck because of the labor involved ain’t no self-respecting woman gonna waste fiber and ALL THAT FUCKING TIME spinning shitty yarn to weave into shitty cloth she’s gonna make GOOD QUALITY SHIT for her family, and considering that women were doing fiber prep/spinning/weaving for like 80% of their waking time up until very recently in world history, literally every woman has the skills necessary to produce some TERRIFYINGLY GOOD QUALITY THREADS

come to think of it i’ve never read a fantasy novel that talks about textile production at all??? like it’s even worse than the “where are all the farms” problem like where are people getting the cloth if no one’s doing the spinning and weaving??? kmart???


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4 years ago

Trésors

Nous sommes allés cueillir des fraises des bois.

Non, nous sommes allés nous promener dans la forêt. Mais elle connaissait ce coin où il y avait des fraises, alors je l’ai suivie.

Elle a retroussé sa jupe pour ne pas la déchirer dans les ronces et les branches. Je lui ai dit d’être prudente. Elle s’est écorchée. J’aurais voulu passer en tête, piétiner pour elle tous les obstacles, tenir les plantes comme les portes d’un palace le temps qu’elle passe. Mais c’est elle qui connaissait le chemin. Alors je n’ai rien fait.

Nous avons trouvé les fraises, loin au fond des bois, bien plus loin que je sois jamais allé. Elle m’en a fait goûter une. Elle tenait à me prouver que nous n’avions pas fait tout ce périple pour rien. Je n’en doutais pas, et même si les fraises avaient été horribles, pas mûres ou déjà mangées, j’aurais été ravi de faire cette longue balade avec elle. Mais ça aurait amoindri la valeur des fraises, dont elle était si fière. Alors je n’ai rien dit.

La fraise était délicieuse. Minuscule, juteuse, sucrée et douce comme un morceau de paradis. Nous avons cueillis ces petits trésors, délicatement pour ne pas les écraser. Enfin en théorie. En réalité, j’avais beau m’appliquer, j’y allais toujours trop fort. Ces précieux rubis, j’en faisais de la purée. Pendant ce temps, elle grimpait au talus en quête d’autres fraisiers. J’aurais voulu l’aider, attraper sa taille pour la hisser vers le sommet. Mais j’avais du jus plein les doigts, et je n’aurais fait que la salir. Alors je n’ai rien fait.

Quand il a été temps de rentrer, elle m’a souris, un peu nerveuse. Elle était si joyeuse pendant toute l’expédition, si contente de son panier rempli. Je ne comprenais pas pourquoi à présent elle regardait ses pieds en rougissant.

Puis elle s’est tourné vers moi et m’a embrassé – un baiser au goût de fraise, ce n’était pas une seule qu’elle avait volé à la cueillette, c’était au moins mille, car son baiser était mille fois meilleur qu’un fruit, comme mille morceaux de paradis.

Alors je le lui ai rendu.


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4 years ago

Page blanche

Bon. Au bout de combien d’essais doit-on admettre qu’on n’a pas d’inspiration aujourd’hui ?

Autrefois, l’auteur frustré roulait en boulet la feuille où il avait commis ses mauvais départs et la balançait à la corbeille. On pouvait ainsi mesurer l’étendue de sa détresse.

Aujourd’hui, on écrit, on se relit, on blêmit, on maudit et on efface, encore et toujours, sans laisser la moindre trace. Aucune différence entre trois heures d’essais et trois heures de rêvasseries sans placer un mot de plus sur son brouillon. Comme si les mauvaises idées ne comptaient pas, au moins pour l’effort.

C’est décourageant.

Mais tout est décourageant lorsqu’on manque d’inspiration.

Mais si, diront les autres, l’inspiration est partout ! Inspire-toi du réel !

Pauvres malheureux. Comme si le réel n’était pas le pire ennemi de l’art. Toujours brouillon, sans début ni fin, sans arrière ni avant plan, sans logique, sans sens. Un casse-tête éternel qui ne fait même pas l’effort d’être intéressant.

Non, pour faire entrer le réel dans son œuvre, l’artiste doit procéder avec précautions, distiller soigneusement goutte après goutte ce dont il a besoin exactement, pas plus, pas moins. Ensuite il va bâtir tout le reste. Ce qui est la meilleure partie du travail, pour être honnête.

Ici, nous avons un artiste de la pire espèce : un écrivain de fantasy. Tellement loin du réel qu’il l’aborde par l’autre bout : il lui arrive parfois, accidentellement, de glisser un bout de réalité par-ci par-là. Le lecteur étonné va retrouver, au milieu de l’éternelle guerre entre deux peuples qui n’existent pas sur une terre qui n’existe pas dans un temps qui n’existe pas, un comportement très, très réel. Dépouillé de tout le contexte et les connaissances que le lecteur a emportées dans ses bagages, ce petit fait, déguisé grossièrement d’une fausse moustache, ne manquera pas d’être reconnu et compris. Comme quoi il ne faut pas s’inquiéter pour le réel. Il trouve toujours un moyen de se glisser là où il n’est pas attendu.

Ce qui ne résous pas le problème d’inspiration de notre auteur. Il peine, il planche, il tente et retente, en vain.

Il finit par lâcher son écran et regarde autour de lui les autres livres, désabusé.

Dans son bureau, il n’y a que des livres qu’il a choisies lui-même pour les mettre aux meilleures places – oui, il y en a aussi dans le salon, dans le couloir et même dans les toilettes. Ce sont des livres qu’il a lus et aimés, parfois passionnément. Des refuges face à la vie, des portes d’entrée vers des mondes fantastiques, des milliers de personnages fascinants dont il se sent plus proche que de certains membres de sa famille. Aujourd’hui, pourtant, l’écrivain se sent jugé, toisé du haut des étagères par les livres qui l’entourent. Tout petit. Indigne.

Il proteste. Il en a écrit, quand même, des livres, qui trônent fièrement au milieu des autres. Il n’a pas à rougir. Une panne d’inspiration, ça arrive à tout le monde, même aux meilleurs. Le résultat n’en sera pas moins bon. Les lecteurs ne sauront jamais à quel point il a peiné sur ce passage.

Oui, mais…

Et si c’était foutu ? souffle son angoisse. Et si je n’y arrivais plus jamais ?

Qu’y  a-t-il de plus terrifiant pour un artiste que de perdre l’inspiration ? C’est incontrôlable et insaisissable. Oui, normalement ça vient tout seul, ou du moins le travail n’est pas conscient, l’idée semble avoir germé dans le crâne sans avoir eu besoin de graine. Mais si on ne sait pas d’où ça vient, on ne sait pas où aller le chercher en cas de besoin. Et on garde la peur qu’un jour, tout puisse s’arrêter.

L’écrivain se prend la tête – littéralement, une main sur chaque tempe. Des graines. Tout est question de graine. Il y en a forcément, son cerveau en collecte en permanence, à droite, à gauche, dans la fiction comme dans la réalité, tout peut être utile même si tout ne sera pas utilisé. C'est un peu l'instinct d'une pie. Il stocke d’abord, il fera le tri ensuite. Pour l’instant, des idées il en a même trop, c’est juste qu’aucune ne colle, pire, aucune ne lui plait, aucune ne l’enthousiasme !

Mais si…

Et s’il imaginait un écrivain génial, qui débarquerait ici pour écouter son problème, comment est-ce qu’il le résoudrait ?

Lentement, puis de plus en plus vite, l’écrivain se remet à écrire.


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