Avec Une Sorcire Qui Fait Clore Des Cratures - Tumblr Posts

1 year ago

Accouchement

Défi d’écriture 30 jours pour écrire, 25 août 

Thème : corbeaux/au fond de chaque mot j’assiste à une naissance

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Les corbeaux croassent à la fenêtre. Ils sont nombreux. Ils me regardent.

Je les salue d’un geste de la main sur le bord de mon chapeau pointu. En une soirée pareille, un brin de politesse ne nuit pas.

Puis je reviens à mon chaudron.

Un fond liquide rougeâtre chauffe tout doucement, au bain-marie, des dizaines de petites perles noires. Je surveille minutieusement le feu – la température doit rester parfaite et constante tout au long du processus. Cette tâche m’empêche de perdre ma concentration. Je ne veux surtout pas rater l’instant magique où les perles vont éclore.

Le croassement des corbeaux rythme ma nuit. Une longue nuit de patience.

Chacune d’entre elle est un mot qui m’a été offert en paiement. Les gens viennent pour mes soins, mes conseils et mes divinations. D’autres viennent pour des vengeances et des malédictions – ceux-là passent par la porte de derrière. Les uns comme les autres paient le prix juste. Parfois, ce prix, c’est un mot.

Mot, mot, répètent les corbeaux – comme s’ils savaient à quoi je pense, et peut-être est-ce le cas. Oui, j’ai pris des mots. Tous ceux qui ont éveillé mon interêt.

Un mot d’espoir ou un mot d’amour, un mot de rage ou un mot glaçant, peu importe. Tout ce que je veux, c’est qu’ils renferment de la puissance, qu’ils aient été gravés au feu rouge dans le cœur de mes clients. Ils sont parfois même ravis que je les en délivre. Parfois, un peu moins.

Je regarde mes mots chauffer avec une exquise lenteur dans le chaudron. J’entends les petits éclats de coquille qui se craquèlent avant même de voir les premières fissures. Ça y est, ça commence…

Les petites coques enveloppant les mots s’ouvrent, et au fond de chaque mot j’assiste à une naissance. Des minuscules feuilles, de tous petits yeux, des doigts microscopiques. Ces fragiles créatures ne sont encore qu’au commencement de leur vie. Ils grandiront très vite.

D’un geste précis mais doux je les sors chacun du chaudron, les essuie dans les linges les plus doux, les cajole, avant de passer aux suivants – jusqu’à ce qu’ils soient tous dans mon panier, pelotonnés les uns contre les autres, encore tout chiffonnés de leur naissance. Mes petites créatures de la nuit, nées du plus profond des cœurs des hommes, mûris dans une matrice de cuivre et du sang de leur mère dévouée. Ils sont si mignons ! Et si inoffensifs encore.

Et si affamés.

Au dehors, les corbeaux s’envolent. L’aube est là, la délicate naissance est accomplie, il faut annoncer cette bonne nouvelle à tous ceux qui peuvent l’entendre. Il ne me reste plus que la tâche triviale de les élever, mes petits monstres qui piaillent déjà à l’unisson.

Patience, mes amours, patience. Maman va vous nourrir.

J’attrape un premier livre – léger et digeste, mais généreux sur les quantités, parfait pour un premier repas – et, à voix haute, je commence sa lecture.

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